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Manuscrit A Folio 47 Recto.
de mal à le faire. Je ne crois pas avoir offensé le Bon Dieu (bien que je reconnaisse avoir passé là un temps inutile) car je n'y employais qu'un certain nombre d'heures que je ne voulais pas dépasser afin de mortifier mon désir trop vif de savoir... J'étais à l'âge le plus dangereux pour les jeunes filles, mais le bon Dieu a fait pour moi ce que rapporte Ezéchiel dans ses prophéties : " Passant auprès de moi, Jésus a vu que le temps était venu pour moi d'être aimée. " (Ez 16,8-13) Il a fait alliance avec moi et je suis devenue sienne... Il a étendu sur moi son manteau, il m'a lavée dans les parfums précieux, m'a revêtue de robes brodées, me donnant des colliers et des parures sans prix... l m'a nourrie de la plus pure farine, de miel et d'huile en abondance... alors je suis devenue belle à ses yeux et Il a fait de moi une puissante reine !... " (NHA 509) Oui Jésus a fait tout cela pour moi, je pourrais reprendre chaque mot que je viens d'écrire et prouver qu'il s'est réalisé en ma faveur, mais les grâces que j'ai rapportées plus haut en sont une preuve suffisante ; je vais seulement parler de (la) nourriture qu'Il m'a prodiguée " en abondance. " Depuis longtemps je me nourrissais de " la pure farine " contenue dans l'Imitation, c'était le seul livre qui me fit du bien, car je n'avais pas encore trouvé les trésors cachés dans l'Evangile. (Is 45,3) Je savais par coeur presque tous les chapitres de ma chère Imitation, ce petit livre ne me quittait jamais ; en été, je le portais dans ma poche, en hiver, dans mon manchon, aussi était-il devenu traditionnel ; chez ma Tante on s'en amusait beaucoup et l'ouvrant au hasard, on me faisait réciter le chapitre qui se trouvait devant les yeux. A quatorze ans, avec mon désir de science, le Bon Dieu trouva qu'il était nécessaire de joindre " à la pure farine " du " miel et de l'huile en abondance. " Ce miel et cette huile, il me les fit trouver dans les conférences de Monsieur l'abbé Arminjon, sur la fin du monde présent et les mystères de la vie future. (NHA 510) Ce livre avait été prêté à Papa par mes chères carmélites, aussi contrairement à mon
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Manuscrit A Folio 47 Verso.
habitude (car je ne lisais pas les livres de papa) je demandai à le lire. Cette lecture fut encore une des plus grandes grâces de ma vie, je la fis à la fenêtre de ma chambre d'étude, et l'impression que j'en ressens est trop intime et trop douce pour que je puisse la rendre... Toutes les grandes vérités de la religion, les mystères de l'éternité, plongeaient mon âme dans un bonheur qui n'était pas de la terre... (1Co 2,9) Je pressentais déjà ce que Dieu réserve à ceux qui l'aiment (non pas avec l'oeil de l'homme mais avec celui du coeur) (NHA 511) et voyant que les récompenses éternelles n'avaient nulle proportion avec les légers sacrifices de la vie (NHA 512) (2Co 4,17-47) je voulais aimer, aimer Jésus avec passion, lui donner mille marques d'amour pendant que je le pouvais encore... (Gn 15,1) Je copiai plusieurs passages sur le parfait amour et sur la réception que le Bon Dieu doit faire à ses élus au moment où Lui-même deviendra leur grande et éternelle récompense, FCB je redisais sans cesse les paroles d'amour qui avaient embrasé mon coeur... Céline était devenue la confidente intime de mes pensées ; depuis Noël nous pouvions nous comprendre, la distance d'âge n'existait plus puisque j'étais devenue grande en taille et surtout en grâce... Avant cette époque je me plaignais souvent de ne point savoir les secrets de Céline, elle me disait que j'étais trop petite, qu'il me faudrait grandir " de la hauteur d'un tabouret " afin qu'elle puisse avoir confiance en moi... J'aimais à monter sur ce précieux tabouret lorsque j'étais à côté d'elle et je lui disais de me parler intimement, mais mon industrie était inutile, une distance nous séparait encore... Jésus qui voulait nous faire avancer ensemble, forma dans nos coeurs des liens plus forts que ceux du sang. Il nous fit devenir soeurs d'âmes, en nous se réalisèrent ces paroles du Cantique de Saint Jean de la Croix (parlant à l'Epoux, l'épouse s'écrie) : " En suivant vos traces, les jeunes filles parcourent légèrement le chemin, l'attouchement de
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Manuscrit A Folio 48 Recto.
l'étincelle, le vin épicé leur font produire des aspirations divinement embaumées. " (NHA 513) Oui, c'était bien légèrement que nous suivions les traces de Jésus ; les étincelles d'amour qu'il semait à pleines mains dans nos âmes, le vin délicieux et fort qu'Il nous donnait à boire faisait disparaître à nos yeux les choses passagères et de nos lèvres sortaient des aspirations d'amour inspirées par Lui. Qu'elles étaient douces les conversations que nous avions chaque soir dans le belvédère ! Le regard plongé dans le lointain, nous considérions la blanche lune s'élevant doucement derrière les grands arbres... les reflets argentés qu'elle répandait sur la nature endormie... les brillantes étoiles scintillant dans l'azur profond... le souffle léger de la brise du soir faisant flotter les nuages neigeux, tout élevait nos âmes vers le Ciel, le beau Ciel dont nous ne contemplions encore " que l'envers limpide... " (NHA 514) Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que l'épanchement de nos âmes ressemblait à celui de Sainte Monique avec son fils lorsqu'au port d'Ostie ils restaient perdus dans l'extase à la vue des merveilles du Créateur... Il me semble que nous recevions des grâces d'un ordre aussi élevé que celles accordées aux grands saints. Comme dit l'Imitation, le Bon Dieu se communique parfois au milieu d'une vive splendeur ou bien " doucement voilé sous des ombres et des figures, " (NHA 515) c'était de cette manière qu'Il daignait se manifester à nos âmes, mais qu'il était transparent et léger le voile qui dérobait Jésus à nos regards !... Le doute n'était pas possible, déjà la Foi et l'Espérance n'étaient plus nécessaires, l'amour nous faisait trouver sur la terre Celui que nous cherchions. " L'ayant trouvé seul, il nous avait donné son baiser, afin qu'à l'avenir personne ne puisse nous mépriser. " (NHA 516) (Ct 8,1) Des grâces aussi grandes ne devaient pas rester sans fruits, aussi furent-ils abondants, la pratique de la vertu nous devint douce et naturelle ; au commencement mon visage trahissait souvent le combat, mais peu à peu cette impression disparut et le renoncement me devint facile même au premier instant. Jésus l'a dit : " A
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Manuscrit A Folio 48 Verso.
celui qui possède, on donnera encore et il sera dans l'abondance. " (NHA 517) (Mt 3,12 25,29) Pour une grâce fidèlement reçue, Il m'en accordait une multitude d'autres... Il se donnait Lui-même à moi dans la Sainte Communion plus souvent que je n'aurais osé l'espérer. J'avais pris pour règle de conduite de faire, sans en manquer une seule, les communions que mon confesseur me donnerait, mais de le laisser en régler le nombre, sans jamais lui en demander. Je n'avais point à cette époque l'audace que je possède maintenant, sans cela j'aurais agi autrement, car je suis bien sûre qu'une âme doit dire à son confesseur l'attrait qu'elle sent à recevoir son Dieu ; (Gn 1,26) ce n'est pas pour rester dans le ciboire d'or qu'Il descend chaque jour du Ciel, c'est afin de trouver un autre Ciel qui lui est infiniment plus cher que le premier : le Ciel de notre âme, faite à son image, FCB le temple vivant de l'adorable Trinité !... (1Co 3,16) Jésus qui voyait mon désir et la droiture de mon coeur permit que pendant le mois de mai, mon confesseur me dit de faire la Sainte Communion quatre fois par semaine et ce beau mois passé, il en ajouta une cinquième à chaque fois qu'il se trouverait une fête. De bien douces larmes coulèrent de mes yeux en sortant du confessionnal ; il me semblait que c'était Jésus Lui-même qui voulait se donner à moi, car je n'étais que très peu de temps à confesse jamais je ne disais un mot de mes sentiments intérieurs, la voie par laquelle je marchais était si droite, si lumineuse qu'il ne me fallait pas d'autre guide que Jésus.. . Je comparais les directeurs à des miroirs fidèles qui reflétaient Jésus dans les âmes et je disais que pour moi le Bon Dieu ne se servait pas d'intermédiaire mais agissait directement !... Lorsqu'un jardinier entoure de soins un fruit qu'il veut faire mûrir avant la saison, ce n'est jamais pour le laisser suspendu à l'arbre, mais afin de le présenter sur une table brillamment servie. C'était dans une intention semblable
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Manuscrit A Folio 49 Recto.
que Jésus prodiguait ses grâces à sa petite fleurette... Lui qui s'écriait aux jours de sa vie mortelle dans un transport de joie : " Mon Père, je vous bénis de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents et que vous les avez révélées aux plus petits, " (NHA 518) (Lc 10,21) voulait faire éclater en moi sa miséricorde ; parce que j'étais petite et faible il s'abaissait vers moi, il m'instruisait en secret des choses de son amour. Ah ! si des savants ayant passé leur vie dans l'étude étaient venus m'interroger, sans doute auraient-ils été étonnés de voir une enfant de quatorze ans comprendre les secrets de la perfection, secrets que toute leur science ne leur peut découvrir, puisque pour les posséder il faut être pauvre d'esprit !... (Mt 5,3) Comme le dit Saint Jean de la Croix en son cantique : " Je n'avais ni guide, ni lumière, excepté celle qui brillait dans mon coeur, cette lumière me guidait plus sûrement que celle du midi au lieu où m'attendait Celui qui me connaît parfaitement. " (NHA 519) (NHA 518) Ce lieu, c'était le Carmel ; avant de " me reposer à l'ombre de Celui que je désirais, " (NHA 520) je devais passer par bien des épreuves, (Ct 2,3) mais l'appel Divin était si pressant que m'eût-il fallu traverser les flammes, je l'aurais fait pour être fidèle à Jésus... Pour m'encourager dans ma vocation, je ne trouvai qu'une seule âme, ce fut celle de ma Mère chérie... mon coeur trouva dans le sien un écho fidèle et sans elle je ne serais sans doute pas arrivée au rivage béni qui l'avait reçue depuis cinq ans sur son sol imprégné de la rosée céleste... Oui depuis cinq ans j'étais éloignée de vous, ma Mère chérie, je croyais vous avoir perdue, mais au moment de l'épreuve c'est votre main qui m'indiqua la route qu'il me fallait suivre... J'avais besoin de ce soulagement, car mes parloirs au Carmel m'étaient devenus de plus en plus pénibles, je ne pouvais parler de mon désir d'entrer sans me sentir repoussée. Marie trouvant que j'étais trop jeune, faisait tout son possible pour empêcher mon entrée ; vous-même, ma Mère, afin de m'éprouver, essayiez quelquefois de ralentir mon ardeur ;
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Manuscrit A Folio 49 Verso.
enfin si je n'avais pas eu vraiment (la) vocation, je me serais arrêtée dès le début car je rencontrai des obstacles aussitôt que je commençai à répondre à l'appel de Jésus. Je ne voulus pas dire à Céline mon désir d'entrer si jeune au Carmel et cela me fit souffrir davantage car il m'était bien difficile de lui cacher quelque chose... Cette souffrance ne dura pas longtemps, bientôt ma petite Soeur chérie apprit ma détermination et loin d'essayer de me détourner, elle accepta avec un courage admirable le sacrifice que le Bon Dieu lui demandait ; pour comprendre combien il fut grand, ll faudrait savoir à quel point nous étions unies... c'était pour ainsi dire la même âme qui nous faisait vivre ; depuis peu de mois nous jouissions ensemble de la vie la plus douce que des jeunes filles puissent rêver ; tout, autour de nous, répondait à nos goûts, la liberté la plus grande nous était donnée, enfin je disais que notre vie était sur la terre l'Idéal du bonheur... A peine avions-nous eu le temps de goûter cet idéal du bonheur, qu'il fallait s'en détourner librement, et ma Céline chérie ne se révolta pas un instant. Ce n'était pas elle cependant que Jésus appelait la première, aussi aurait-elle pu se plaindre... ayant la même vocation que moi, c'était à elle de partir !... Mais comme au temps des martyrs, ceux qui restaient dans la prison donnaient joyeusement le baiser de paix à leurs frères partant les premiers pour combattre dans l'arène et se consolaient dans la pensée que peut-être ils étaient réservés pour des combats plus grands encore, ainsi Céline laissa-t-elle sa Thérèse s'éloigner et resta seule pour le glorieux et sanglant combat (NHA 821) auquel Jésus la destinait comme la privilégiée de son amour !... Céline devint donc la confidente de mes luttes et de mes souffrances, elle prit la même part que s'il se fut agi de sa propre vocation ; de son côté je n'avais pas à craindre d'opposition, mais je ne savais quel moyen prendre pour l'annoncer à Papa... Comment lui parler de quitter sa reine, lui qui venait de sacrifier ses trois aînées ? Ah ! que (de) luttes intimes n'ai-je pas souffertes avant
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Manuscrit A Folio 50 Recto.
de me sentir le courage de parler !... Cependant il fallait me décider, j'allais avoir quatorze ans et demi, six mois seulement nous séparaient encore de la belle nuit de Noël où j'avais résolu d'entrer, à l'heure même où l'année précédente j'avais reçu " ma grâce. " Pour faire ma grande confidence je choisis le jour de la Pentecôte (NHA 522) toute la journée je suppliai les Saints Apôtres de prier pour moi, de m'inspirer les paroles que j'allais avoir à dire... N'était-ce pas eux en effet qui devaient aider l'enfant timide que Dieu destinait à devenir l'apôtre des apôtres par la prière et le sacrifice ?... Ce ne fut que l'après-midi en revenant des vêpres que je trouvai l'occasion de parler à mon petit Père chéri ; il était allé s'asseoir au bord de la citerne et là, les mains jointes, il contemplait les merveilles de la nature, le soleil dont les feux avaient perdu leur ardeur dorait le sommet des grands arbres, où les petits oiseaux chantaient joyeusement leur prière du soir. La belle figure de Papa avait une expression céleste, je sentais que la paix inondait son coeur ; sans dire un seul mot j'allai m'asseoir à ses côtés, les yeux déjà mouillés de larmes, il me regarda avec tendresse et prenant ma tête il I'appuya sur son coeur, me disant : " Qu'as-tu ma petite reine ?... confie-moi cela... " puis se levant comme pour dissimuler sa propre émotion, il marcha lentement, tenant toujours ma tête sur son coeur. A travers mes larmes je lui confiai mon désir d'entrer au Carmel, alors ses larmes vinrent se mêler aux miennes, mais il ne dit pas un mot pour me détourner de ma vocation, se contentant simplement de me faire remarquer que j'étais encore bien jeune pour prendre une détermination aussi grave. Mais je défendis si bien ma cause, qu'avec la nature simple et droite de Papa, il fut bientôt convaincu que mon désir était celui de Dieu lui-même et dans sa foi profonde il s'écria que le Bon Dieu lui faisait un grand honneur de lui demander ainsi ses enfants ; nous continuâmes longtemps notre promenade, mon coeur soulagé par la bonté avec laquelle mon incomparable Père avait accueilli ses confidences,
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Manuscrit A Folio 50 Verso.
s'épanchait doucement dans le sien. Papa semblait jouir de cette joie tranquille que donne le sacrifice accompli, il me parla comme un saint et je voudrais me rappeler ses paroles pour les écrire ici, ais je n'en ai conservé qu'un souvenir trop embaumé pour qu'il puisse se traduire. Ce dont je me souviens parfaitement ce fut de l'action symbolique que mon Roi chéri accomplit sans le savoir. S'approchant d'un mur peu élevé, il me montra de petites fleurs blanches semblables a des lys en miniature et prenant une de ces fleurs, il me la donna, m'expliquant avec quel soin le Bon Dieu l'avait fait naître et l'avait conservée jusqu'à ce jour ; en l'entendant parler, je croyais écouter mon histoire tant il y avait de ressemblance entre ce que Jésus avait fait pour la petite flenr et la petite Thérèse... Je reçus cette fleurette comme une relique et je vis qu'en voulant la cueillir, Papa avait enlevé toutes ses racines sans les briser, elle semblait destinée à vivre encore dans une autre terre plus fertile que la mousse tendre où s'étaient écoulés ses premiers matins... C'était bien cette même action que Papa venait de faire pour moi quelques instants plus tôt, en me permettant de gravir la montagne du Carmel et de quitter la douce vallée témoin de mes premiers pas dans la vie. Je plaçai ma petite fleur blanche dans mon Imitation, au chapitre intitulé : " Qu'il faut aimer Jésus par-dessus toutes choses, " (NHA 523) c'est là qu'elle est encore, seulement la tige s'est brisée tout près de la racine et le Bon Dieu semble me dire par là qu'il brisera bientôt les liens de sa petite fleur (Ps 116,16) et ne la laissera pas se faner sur la terre ! Après avoir obtenu le consentement de Papa, je croyais pouvoir m'envoler sans crainte au Carmel, mais de bien douloureuses épreuves devaient encore éprouver ma vocation. Ce ne fut qu'en tremblant que je confiai à mon oncle la résolution que j'avais prise. (NHA 524) Il me prodigua toutes les marques de tendresse possibles, cependant il ne me donna pas la permission de partir, au contraire il me défendit de lui
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رد: Ste Thérèse de l'Enfant Jésus
Manuscrit A Folio 51 Recto.
parler de ma vocation avant l'âge de dix-sept ans. C'était contraire à la prudence humaine disait-il, de faire entrer au Carmel une efant de quinze ans, cette vie de carmélite étant aux yeux du monde une vie de philosophe, ce serait faire grand tort à la religion de laisser une enfant sans expérience l'embrasser... Tout le monde en parlerait, etc... etc... Il dit même que pour le décider à me laisser partir il faudrait un miracle. Je vis bien que tous les raisonnements seraient inutiles, aussi je me retirai, le coeur plongé dans l'amertume la plus profonde ; ma seule consolation était la prière, je suppliais Jésus de faire le miracle demandé puisqu'à ce prix seulement je pourrais répondre à son appel. Un temps assez long se passa (NHA 525) avant que j'ose parler de nouveau à mon oncle ; cela me coûtait extrêmement d'aller chez lui, de son côté ii paraissait ne plus penser à ma vocation, mais j'ai su plus tard que ma grande tristesse l'influença beaucoup en ma faveur. Avant de faire luire sur mon âme un rayon d'espérance, le Bon Dieu voulut m'envoyer un martyre bien douloureux qui dura trois jours (NHA 526) Oh ! jamais je n'ai si bien compris que pendant cette épreuve, la douleur de la Ste Vierge et de St Joseph cherchant le divin Enfant Jésus... (Lc 2,41-50) J'étais dans un triste désert ou plutôt mon âme était semblable au fragile esquif livré sans pilote à la merci des flots orageux... Je le sais Jésus était là dormant sur ma nacelle, (Mc 4,27-29) mais la nuit était si noire qu'il m'était impossible de le voir, rien ne m'éclairait, pas même un éclair ne venait sillonner les sombres nuages... Sans doute c'est une bien triste lueur que celle des éclairs, mais au moins, si l'orage avait éclaté ouvertement, j'aurais pu apercevoir un instant Jésus... c'était la nuit, la nuit profonde de l'âme... comme Jésus au jardin de l'agonie, (Lc 22,39-46) je me sentais seule, ne trouvant de consolation ni sur la terre ni du côté des Cieux, le Bon Dieu paraissait m'avoir délaissée !... La nature semblait prendre part à ma tristesse amère, pendant ces trois jours, le soleil ne fit pas luire un seul de
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† Admin Woman †
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رد: Ste Thérèse de l'Enfant Jésus
Manuscrit A Folio 51 Verso.
ses rayons et la pluie tomba par torrents. (J'ai remarqué que dans toutes les circonstances graves de ma vie, la nature était l'image de mon âme. Les jours de larmes, le Ciel pleurait avec moi, les jours de joie, le Soleil envoyait à profusion ses gais rayons et l'azur n'était obscurci d'aucun nuage...) Enfin le quatrième jour qui se trouvait être un samedi, jour consacré à Ia douce Reine des Cieux, j'allai voir mon oncle. Quelle ne fut pas ma surprise en le voyant me regarder et me faire entrer dans son cabinet sans que je lui en eusse témoigné le désir !... Il commença par me faire de doux reproches de ce que je paraissais avoir peur de lui et puis il me dit qu'il n'était pas nécessaire de demander un miracle, qu'il avait seulement prié le Bon Dieu de lui donner " une simple inclination de coeur " et qu'il était exaucé... Ah ! je ne fus pas tentée d'implorer de miracle, car pour moi le miracle était accordé, mon oncle n'était plus le même. Sans faire aucune allusion à " la prudence humaine " il me dit que j'étais une petite fleur que le Bon Dieu voulait cueillir et qu'il ne s'y opposerait plus !... Cette réponse définitive était vraiment digne de lui. Pour la troisième fois ce Chrétien d'un autre âge permettait qu'une des filles adoptives de son ceur allât s'ensevelir loin du monde. Ma Tante aussi fut admirable de tendresse et de prudence, je ne me souviens pas que pendant mon épreuve elle m'ait dit un mot qui pût l'augmenter, je voyais qu'elle avait grand'pitié de sa pauvre petite Thérèse, aussi lorsque j'eus obtenu le consentement de mon cher Oncle, elle me donna le sien mais non sans me prouver de mille manières que mon départ lui causerait du chagrin... Hélas ! nos chers parents étaient loin de s'attendre alors qu'il leur faudrait renouveler deux fois encore le même sacrifice... Mais en tendant la main pour demander toujours, le Bon Dieu ne la présenta pas vide, ses amis les plus chers purent y puiser abondamment la force et le courge qui leur étaient si nécessaires... Mais mon coeur m'emporte bien loin de mon sujet, j'y retourne presque à regret : après la réponse de mon Oncle, vous comprenez, ma Mère, avec quelle allégresse je repris le chemin des Buissonnets, sous " le beau Ciel, dont les nuages s'étaient complètement dissipés !... " Dans mon âme aussi la nuit avait cessé. Jésus en se réveillant m'avait rendu la joie, le bruit des vagues s'était apaisé ; au lieu du vent de l'épreuve une brise légère enflait ma voile et je croyais arriver bientôt sur le rivage béni (Mc 4,37-39) que j'apercevais tout près de moi. Il était en effet bien près de ma nacelle, mais plus d'un orage devait encore s'élever et lui dérobant la vue de son phare lumineux, lui faire craindre de s'être éloignée sans retour de la plage si ardemment désirée... Peu de jours après avoir obtenu le consentement de mon oncle, j'allais vous voir, (NHA 527) ma Mère chérie, et je vous dis ma joie de ce que toutes mes épreuves étaient passées, mais quelle ne fut pas ma surprise et mon chagrin en vous entendant me dire que Monsieur
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